La guerre informationnelle, médiatique et psychologique au Liban

L’Armée libanaise a étoffé sa capacité de guerre psychologique et informationnelle dans le milieu le plus saturé du monde dans ce domaine.

Pour beaucoup d’observateurs des affaires militaires libanaises, cette annonce n’a pas suscité beaucoup d’intérêt. Préférant se focaliser sur un autre évènement annoncé par les autorités militaires libanaises, à savoir la livraison de nouveaux hélicoptères de combat. Il est vrai que la réception de la moitié des 12 appareils MD530-F1 était attendue. Je reconnais aussi, que voir une démonstration de vol des nouveaux appareils de combats est plus excitant que de voir des militaires maniant des appareils bureautiques. Mais en termes de réflexion stratégique, la maitrise de la situation informationnelle qui influe sur le climat géopolitique, est bien plus importante de mon point de vue que l’acquisition de quelques hélicos d’une portée plutôt tactique limitée. ⁽²⁾

Si nous admettons que le phénomène des « Printemps arabes » a été instrumentalisé et que ses percuteurs étaient avant tout des acteurs non-étatiques, disposant d’un savoir faire médiatique allant de la fabrication de l’image à sa diffusion par les réseaux sociaux avec tout ce qui l’accompagne, l’importance de ce genre de guerre douce parait évidente.

L'importance des opérations d'information et des stratégies de communication augmente de jour en jour. Les armées les plus puissantes au monde et dotées des armes les plus avancées peuvent perdre une guerre et ternir leur réputation en un clin d'œil, si elles ne planifient pas et n'adoptent pas les stratégies de communication avec son audience. C'est la guerre de notre ère... la guerre de l'information !

L'armée libanaise, qui s'efforce toujours de développer ses capacités car elle souffre de carences dans beaucoup de domaines, a pris conscience de l'importance de cette question, car elle a besoin de maintenir le soutien populaire et veille sur son image d'une part et de l'autre elle cherche à ménager la paix civile en filtrant les informations et débusquant les agitateurs sur les réseaux sociaux.

Ajoutez à cela les crises quotidiennes vécues par la société libanaise, dont l'institution fait partie, et la nécessité d'y faire face en maîtrisant le processus de communication en situation de crise.

Il faut dire que le Liban fait figure d’école tellement sa situation informationnelle et médiatique est exceptionnelle. Nous parlons du seul pays arabe qui qui jouit d’une réelle liberté d’expression. Le seul pays au monde où chaque grand parti politique et chaque communauté religieuse possède ses propres organes de presse qui vont du journal quotidien à la chaîne télé en passant par les radio hertzienne ou numérique. Alors imaginez leurs potentiels d’influences et de mobilisation d’opinions avec l’introduction des médias alternatifs et internet.

Dans ce petit pays de 7 millions d’habitants divisés par des appartenances communautaires ou idéologiques différentes, il y a déjà plus de dizaines de chaines télé qui se font une guerre médiatique permanente. Même les dirigeants politiques ou les institutions d’état sont insultés ou calomniés sans encourir la moindre condamnation, sous prétexte de liberté d’expression et d’orientations démocratiques.

Il s’agit en réalité de ménager la susceptibilité des communautés religieuses. Et sous ce prétexte, les organes de propagande privés d’orientation pro-occidentale se permettent de diaboliser leurs concitoyens et ceux qui à l’opposé, se placent dans l’Axe de la Résistance n’hésitent pas à dépeindre leurs adversaires de traîtres à la solde des projets sionistes.

Sachant que chaque parti politique, chaque milice communautaire bénéficie d’appuis financier et de soutien technique par un acteur étranger. Le rôle assumé sans contestation de ces acteur médiatiques s’inscrit complètement dans le spectre de la guerre médiatique et psychologique. Tout cela contribue évidemment à fragiliser et déstabiliser le Pays du Cèdre.

Ce n’est pas de la démocratie, c’est de l’anarchie soutenue par une corruption et une connivence avec les intérêts extranationaux.

Pour toute ces raisons nous pouvons considérer le Liban comme le milieu le plus saturé dans ce domaine dans le Monde et que le théâtre des opérations de l’Armée libanaise est un cas d’école pour les applications de contre-propagande ou des opérations de séductions médiatiques.

D’où également l’intérêt pour les Forces Armées Libanaises de se doter d’un appareil sécuritaire spécialisé dans la guerre informationnelle, médiatique et psychologique. Il faut bien distinguer ces branches de qui pourrait être classé dans le domaine cybernétique, même si ce dernier peut servir de vecteur cela reste finalement un outil au service de la guerre psychomédiatique qui est une stratégie en soi qui asservit par nature des disciplines et des méthodes multiples.

Contribution UK pour de nouvelles formations de spécialistes ⁽²⁾

La formation dans ce domaine n'est pas nouvelle dans l'armée, car la coopération a commencé il y a des années avec une équipe britannique spécialisée, le JIAG-Joint Information Activités Group, jusqu'à ce que nous disposions de formateurs en opérations d'information et stratégies de communication. Et partant de la prise de conscience par la direction de l'armée de l'importance de la révolution de l'information et de ses répercussions sur l'image des pays et des armées, il a été décidé de généraliser cette culture et cette expérience à toutes les unités et dans les différents programmes de formation des instituts et collèges militaires, de l'Académie militaire (dans les trois ans et un cours de commandant secret), à l’Académie Fouad Shehab pour le commandement et l'état-major (cours d'état-major, chef de bataillon, etc.), et l'École des sous-officiers, où la formation est assurée par des formateurs de la Direction de l’orientation.

Pour le même objectif, une équipe a été constituée en octobre dernier, qui comprenait quatre formateurs de l'équipe britannique, assistés de quatre autres de la Direction de l'orientation de l'armée libanaise comprenant un colonel PSC deux majors et une journaliste. Cette équipe a formé une vingtaine d'officiers de sécurité et d'orientation de différents régiments et brigades, aux bases des opérations d'information. Ils se sont familiarisés avec les activités liées aux opérations d'information, telles que l'environnement et les stratégies d'information, les opérations médiatiques et psychologiques qui en font partie, en plus de savoir comment communiquer pendant les crises et l'importance des médias sociaux, acquérir des compétences en matière d'interview médiatique, identifier quelle presse conférences sont, le rôle du responsable de la communication avec les médias et d'autres leçons pertinentes.

Les cours n'étaient pas seulement théoriques, mais comprenaient des exemples pratiques internationaux et libanais. Les stagiaires ont également eu droit à un exercice basé sur le scénario « L’île rouge » sur une mission opérationnelle hypothétique mise en œuvre par l'armée libanaise, qui a duré toute la période du cours. Chaque jour, après la théorie les formateurs laissaient tomber de nouveaux développements sur le scénario de base, permettant aux stagiaires de mettre en pratique ce qu'ils avaient appris au cours de la journée, dans le but de se former à la réponse aux urgences. Les stagiaires qui ont choisi cette branche ont été motivé par leur conscience de l'importance des opérations médiatiques et d'information dans toute mission qu'ils effectuent sur le terrain dans leurs zones d’action.

Les photographes du Département Programmes et Photographie de la Direction de l'Orientation ont également suivi une formation avec l'équipe britannique, compte tenu de l'importance de cette spécialité dans le domaine des opérations d'information. Huit d'entre eux ont suivi un cursus parallèle en photographie et télévision. Ils ont appris le montage et ses techniques, les retouches d’images, l'écriture de scénario de storyboard, la photographie de guerre, et s'exercent au tournage d'interviews et de conférences de presse.

A la fin du module, les participants ont été certifiés en présence du Directeur de l'orientation, le général de brigade Ali Qanso et de l'attaché militaire britannique, Le lieutenant-colonel Lee Richards Saunders.

A leur tour, les membres de l'équipe de formation britannique ont reconnu la qualité des formateurs libanais, ainsi que les capacités culturelles et intellectuelles des participants. Les échanges avec leurs homologues libanais non seulement leur a permis de s'entraîner, mais aussi d'acquérir une expérience supplémentaire.

Il est à noter que cette formation deviendra un cursus répétitif au niveau de l'armée, qui sera mis en œuvre par les formateurs de la Direction de l'Orientation et sera suivi par des officiers de diverses autres unités qui ne l'ont pas encore suivi.

Contribution italienne pour les opérations psychologiques

Les opérations psychologiques s'inscrivent également dans le cadre des opérations d'information et des stratégies de communication, et le Service de la guerre psychologique de la Direction de l'orientation a attaché une grande importance à permettre à ses officiers et soldats de maîtriser leur mission dans ce domaine.

A cet effet, une équipe italienne spécialisée est intervenue et formée à trois niveaux :

• Un niveau élémentaire de formation du personnel dans le domaine de la planification des opérations psychologiques, suivi de 14 personnels du Département de la guerre psychologique à la Direction de l'orientation, la Direction du renseignement, la Direction générale de la sécurité publique et la Direction générale de la sûreté de l'État.

• Un niveau avancé pour préparer des éléments spécialisés dans le domaine des opérations psychologiques, suivi de 11 éléments des directions susmentionnées.

• Le niveau de « préparation de formateurs » spécialisés dans le domaine des opérations psychologiques, suivi de 6 éléments qui étaient auparavant classés dans des centres aux cours avancés.

Le cours comprenait de nombreuses leçons théoriques et exercices pratiques, y compris au niveau de base : le processus de prise de décision militaire et son lien avec les opérations psychologiques, l'analyse des tâches, la préparation des objectifs des opérations psychologiques et les buts qui les soutiennent, et la préparation d'une liste de potentiels publics cibles. Avec le passage au niveau avancé, la formation s'est concentrée sur la définition des opérations psychologiques et leurs étapes, l'analyse du public cible, la préparation et le développement de produits d'opérations psychologiques, et la production, la distribution et la diffusion de ces produits. Quant à la dernière phase de formation pour préparer les formateurs dans ce domaine, elle s'est concentrée sur des compétences de communication efficaces, des compétences de prise de parole en public et de communication, la préparation de programmes de formation (Syllabus), des conférences et la manière de les dispenser, et la pratique de différentes méthodes d'éducation et de formation.

Les trois cours, qui se sont déroulés sur une période de trois mois, se sont terminés par une cérémonie de remise des diplômes tenue à la Branche de l'éducation - Direction du renseignement et en présence de l'attaché militaire italien, le colonel. Marco Zona, le commandant du MIBIL au Liban, ainsi que le premier sous-directeur du renseignement, le général brigadier Riad Allam, le chef du Département de la Guerre Psychologique à la Direction de l'orientation, le colonel Elias Aad, le chef de la Branche Education du Renseignement, le colonel Fadi al-Hasani, et l'équipe de formation italienne avec un certain nombre d'officiers.

L’armée prend la mesure et en connait la nécessité mais…

En conclusion l’appareil dont se sont dotée l’Armée libanaise et ses services de renseignement pour la contre- propagande et la maitrise des communications agit d’une manière réactive par rapport à un évènement ou un phénomène et peut prendre l’initiative d’une manière préventive pour l’éviter.

Mais ce n’est qu’un outil qui reste très limité dans le contexte libanais, car la décision d’agir contre un organe de diffusion ou des agitateurs médiatiques se heurterait contre des protections politiques et des contestations communautaires. Il n’empêche qu’on ne peut pas au 21ème siècle ignorer la portée cette constituante de la guerre douce, qu’est le champ d’action psychomédiatique.

Liens et références:

(1)La guerre psychologique est une composante de la guerre de l'information. Le manuel de droit des conflits armés (TTA 925) de l'armée française définit la guerre psychologique ...https://operationnels.com/2019/08/06/quest-ce-que-la-guerre-psychologique-1-3/

(2)  مهارات لمواكبة متطلبات العصر العدد 436 - 437 - 438 - تشرين الثاني 2021